« Le dragon » enflamme le Théâtre national de Strasbourg

Thomas Jolly propose une mise en scène noire du Dragon de Evgueni Schwartz au Théâtre national de Strasbourg jusqu’au 8 février.

Lancelot triomphe de la première tête du dragon parmi les flammes. Crédit: Nicolas Joubard

La salle Koltès est comble, les coeurs en ébullition. Tous ont le regard tourné vers la scène et se tiennent prêts à rire, à rêver et à trembler durant deux heures aux côtés de Thomas Jolly et de ses comédiens angevins, de passage au Théâtre National de Strasbourg du 4 au 8 février. Après le grand succès de sa mise en scène spectaculaire de Thyeste il y a trois ans, Thomas Jolly était très attendu. Fidèle à l’univers sombre et poétique qui fait sa force, il revient cette fois avec le Dragon, conte fantastique écrit en 1944 par le dramaturge russe Evgueni Schwartz.

La nuit qui frissonne, le public avec elle

Une petite ville, perdue dans de noires montagnes, survit dans l’ombre d’un dragon. Le grand monstre est immense : trois têtes dont chacune est plus perfide que l’autre, plantées sur un corps vieux de milliers d’années. Mais ce grand être, c’est surtout un tyran, qui choisit chaque année une jeune fille qu’il mettra à mort. Jusqu’à l’arrivée de Lancelot, jeune et fougueux chevalier qui entend bien sauver la ville de sa malédiction. Dans un combat sanglant, bouillonnant et jouissif, une première tête tombe, puis deux, puis trois. Enfin, le dragon n’est plus. Mais Lancelot ne se doute pas que le véritable danger réside ailleurs, dans les entrailles même du village.

Miroir miroir

Tout l’art de Jolly est de créer un spectacle qui  certes se passe sur scène, mais qui surtout résonne en nous. Cette ville sombre et poussiéreuse sort de la dimension imaginaire du conte dès lors qu’elle reflète les tâches noires de notre propre société. Comment ne pas penser à la réalité sociale et politique  contemporaine lorsque nos yeux voient défiler ces tyrans, ces menteurs et ces lâches, qui désinforment et manipulent sans scrupules. Alors,  aux côtés des comédiens, un rôle nous est donné : chaque spectateur imagine ainsi le message porté par les flammes du dragon. Les villageois, eux, restent enchainés au déni et à la peur de s’opposer au feu qui les gouverne. Jamais ils ne relèvent les yeux, jamais ils ne fixent dignement cet oeil qui les emprisonne. 

Comme dans toute pièce réussie, la scénographie est au service du message porté. Ainsi, le regard du spectateur est embrumé par la fumée incessante et étouffante qui se déverse du fond de la scène et ne disparait jamais vraiment. Le regard du dragon lui-même, symbolisé par un immense néon sous forme de pupille qui encadre l’espace, pèse sur nous comme il pèse sur les citoyens aveugles du village. Regarder, voir apparaître, montrer, fermer les yeux. Voilà tout le jeu de symboles auquel s’adonne Thomas Jolly.

Une grande et sombre chorégraphie de costumes macabres s’anime sous le rythme effréné de la musique. L’ambiance électrique ne laisse aucun doute : la pièce est aussi puissante que le dragon qu’elle met en scène, et nous plonge sans détour dans la finesse et l’oeil théâtral du jeune metteur en scène. 

« Le Dragon », de Thomas Jolly

Au TNS du 4 au 8 février à 20h

dès 6 euros sur https://www.tns.fr

Ysée Demenus

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